24 Heures :  » Réduire le temps de travail coûte cher en Suisse « 

En bref:

  • Unia milite pour une réduction du temps de travail sans perte salariale.
  • La durée effective de travail annuelle a baissé de 3,9% entre 2010 et 2019.
  • Les travailleurs suisses sont champions du temps partiel.
  • Les salaires élevés dans notre pays permettent souvent de choisir cette solution. Mais certains sont laissés de côté.

Est-il possible, en Suisse, de travailler moins pour avoir «davantage de temps pour vivre»? C’est en tout cas la revendication du syndicat Unia, qui consacrait samedi à Berne une journée de réflexion au sujet. Il a lancé un manifeste en faveur d’une réduction du temps de travail «sans perte de salaire ni densification du travail».

Que veut-il précisément? Pour Mirjam Brunner, responsable de ce dossier chez Unia, la situation varie d’une branche à l’autre. «Dans certains cas, on pourrait passer à une semaine de quatre jours.» Quelques rares entreprises ont franchi ce pas audacieux ces dernières années. «Dans d’autres, il faudrait réduire l’horaire quotidien ou englober les temps de trajet entre l’usine et le chantier.»

41,7 heures par semaine

On revient de loin en la matière. Dans les années 1950, la durée normale de travail à 100% dépassait 47 heures par semaine dans les secteurs secondaire et tertiaire. Selon une analyse du Centre de recherches conjoncturelles KOF, on a atteint quelque 42 heures dans les années 1990. Depuis, cette tendance s’est tassée. Et aujourd’hui, un employé à 100% doit en moyenne 41,7 heures hebdomadaires à son patron, note Alain Vuille, chef de la section travail et vie active à l’Office fédéral de la statistique (OFS).

41,7 heures par semaine

On revient de loin en la matière. Dans les années 1950, la durée normale de travail à 100% dépassait 47 heures par semaine dans les secteurs secondaire et tertiaire. Selon une analyse du Centre de recherches conjoncturelles KOF, on a atteint quelque 42 heures dans les années 1990. Depuis, cette tendance s’est tassée. Et aujourd’hui, un employé à 100% doit en moyenne 41,7 heures hebdomadaires à son patron, note Alain Vuille, chef de la section travail et vie active à l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Unia relève qu’avec ces 41,7 heures, les salariés suisses détiennent un record européen. Le syndicat veut descendre au moins en dessous de 40 heures. Avec un argument: «Le travail est de plus en plus dense et, en parallèle, le stress et l’épuisement augmentent. Les gens ont besoin de plus de temps pour se reposer. En outre, les gains de productivité augmentent, mais pas les salaires.»

Le travail effectif baisse

Directeur du Centre patronal, Christophe Reymond met au contraire en garde: «Même avec les progrès technologiques, on produit moins quand on travaille moins. Le temps de travail fait aussi la richesse d’une entreprise et d’un pays.»

Côté chiffres, il livre une tout autre lecture de la situation. Et souligne que, selon l’OFS, la durée annuelle effective de travail par personne occupée a baissé de 3,9% entre 2010 et 2019. Si on se concentre sur le temps effectif que les actifs passent au travail (quel que soit leur pourcentage d’embauche), la Suisse rejoint la moitié basse du classement européen.

Plusieurs facteurs expliquent cette baisse du travail effectif. Le nombre d’heures supplémentaires diminue et les absences augmentent. À cela s’ajoute le fait que, sur l’année, la durée des vacances croît. Tous âges confondus, les salariés à plein temps avaient droit en moyenne à 4,6 semaines de repos en 1996. On était à 5 semaines en 2010 et 5,2 semaines entre 2018 et 2023.

Plus d’hommes à temps partiel

Michael Siegenthaler, chercheur au KOF, insiste sur un autre point: les hommes réduisent de plus en plus leur temps de travail. «Les femmes, elles, ont tendance à augmenter ce pourcentage, précise-t-il. L’un dans l’autre, la durée de travail effectif par ménage augmente, surtout dans les familles avec des enfants. Mais celle par employé, quel que soit le sexe, diminue.»https://datawrapper.dwcdn.net/Xo6ne/3/

En fait, les Suisses sont champions du temps partiel. Selon une étude de l’Université de Zurich, seuls les Pays-Bas font mieux en Europe. «Cela est probablement lié au fait que le temps de travail exigé des gens à 100% est plus élevé en Suisse, note Michael Siegenthaler. Même si on le réduit à 80%, on doit faire un nombre d’heures similaire à celui de quelqu’un qui travaille à plein temps ailleurs.»

Baisse de salaire

Cela signifie aussi que la réduction observée s’accompagne souvent d’une diminution de salaire. «C’est vrai, les employés assument en partie le coût de cette baisse, commente Christophe Reymond. C’est un luxe que beaucoup de gens peuvent s’offrir dans un pays où les salaires et le pouvoir d’achat restent malgré tout élevés.»

Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Christophe Reymond pense notamment aux cadres supérieurs. Anne Donou, directrice du cabinet de conseil RH Von Rundstedt, évoque celles et ceux qui n’ont pas les moyens financiers de travailler moins. Elle note d’ailleurs que beaucoup de temps partiels sont imposés, «notamment dans les secteurs mal payés, dont les employés aimeraient travailler plus».

Unia insiste sur cet enjeu. «Le temps partiel est une solution individuelle, argumente Mirjam Brunner. Or les personnes qui courent le plus de risques face à la densification du travail sont les jeunes, les femmes et les bas salaires, et ce sont aussi ceux qui ne peuvent pas se permettre une baisse de salaire.»

Reste à savoir de quoi l’avenir sera fait. Selon Christophe Reymond, la baisse des heures effectivement travaillées va se poursuivre «tant que nos entreprises continueront d’avoir des performances supérieures à celles de leurs concurrentes étrangères».

Michael Siegenthaler s’y attend aussi. Il prédit également que la durée des vacances va continuer d’augmenter. Et surtout, que l’écart entre les sexes va encore se réduire.

«Ce qui attire, c’est la flexibilité»

Anne Donou, directrice du cabinet de conseil RH Von Rundstedt, répond à nos questions.

Assiste-t-on à une baisse du temps de travail, notamment pour attirer des employés dans les entreprises?

Ce qui attire aujourd’hui, c’est avant tout la flexibilité. Les jeunes, surtout, veulent pouvoir organiser leurs journées. Et, par exemple, partir trois heures, quitte à retourner au travail plus tard. Le job-sharing se développe aussi. Par contre, je n’observe pas de demande massive pour réduire le temps de travail.

Et la semaine de quatre jours, sans baisse de salaire?

Cela peut être une façon de donner la flexibilité souhaitée. Mais dans d’autres cas, cela peut au contraire augmenter la rigidité. En fait, on ne peut pas généraliser cette solution. J’ai étudié des projets dans le monde entier, dans lesquels le temps de travail était réduit en passant à quatre jours, sans diminuer le salaire. Il y a des avantages. Mais les contraintes sont aussi importantes.

Quels sont les effets positifs?

Pour une entreprise, cela peut augmenter l’attractivité à l’embauche puis l’aider à garder ses employés. Dans les projets que j’ai étudiés, la productivité était augmentée. Mais on suppose qu’à terme, quand cet horaire entre dans les mœurs, la motivation diminue à nouveau et la productivité aussi. Et pour un employé, cette solution peut offrir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Et quelles sont les contraintes?

D’abord, cela représente un coût pour l’entreprise. Et puis, cette solution n’est pas possible dans toutes les activités. Dans le commerce, par exemple, on ne peut pas fermer le vendredi. Du coup, il faudrait embaucher des gens à un temps extrêmement réduit ou augmenter la charge de travail de ceux qui sont présents. Le risque est que le stress augmente chez les employés si les attentes ne diminuent pas. Ou inversement que la productivité baisse si les attentes diminuent et, par conséquent, l’emploi aussi. D’un cercle vertueux, on peut vite passer à un cercle vicieux.