Les entreprises misent sur des CV qui correspondent parfaitement au profil du poste. Elles n’exploitent pas assez le potentiel des personnes qui changent de voie.
Dans les firmes modernes, on imagine des équipes agiles et diverses qui travaillent en commun. Un mélange hétéroclite de jeunes cadres dynamiques, d’anciens expérimentés, de femmes et d’hommes de tous âges, de personnes qui changent d’orientation professionnelle et d’individus d’origines et de milieux sociaux différents. Objectif: organiser l’entreprise de manière à ce qu’elle puisse, grâce à son personnel, faire face aux changements constants et se réinventer ou se développer sans cesse.
La réalité du monde du travail et de la recherche de personnel est toutefois tout autre. Elle est loin d’être aussi colorée que les gourous du management l’imaginent dans leurs manuels. C’est ce que montre la nouvelle étude sur le marché de l’emploi publiée par le cabinet d’outplacement von Rundstedt en collaboration avec le magazine sectoriel HR Today.
Productif dès le premier jour
La conclusion de l’enquête menée auprès de 1000 responsables RH et cadres supérieurs est la suivante: en Suisse, on recrute de manière conservatrice et conventionnelle. La seule chose qui compte vraiment, c’est le CV, qui doit correspondre à 100% au profil du poste proposé. «La pensée dite de l’écart zéro est encore très répandue dans de nombreuses sociétés, explique Pascal Scheiwiller, CEO de von Rundstedt. La plupart des entreprises cherchent un successeur qui possède les mêmes qualifications que son prédécesseur – sans réfléchir à l’évolution du poste.»
Selon lui, cela s’explique aussi par le fait que les entreprises attachent beaucoup d’importance à ce que le nouveau soit utilisable et productif dès le premier jour. Le revers de la médaille est que le potentiel des personnes qui changent d’orientation et qui ont besoin d’un peu de temps pour se familiariser est trop peu exploité. A cela s’ajoute le fait que la plupart du temps, le recrutement de nouveau personnel se fait encore par des canaux conventionnels. C’est-à-dire via le site internet de l’entreprise ou les portails d’emploi. En comparaison avec d’autres pays, les propres collaborateurs sont trop peu utilisés en Suisse pour la recherche de nouveaux collègues.
L’économie est menacée par un désavantage concurrentiel
Jörg Buckmann, expert indépendant en RH, est très sévère en ce qui concerne la capacité d’apprentissage des services du personnel: «Dans neuf entreprises sur dix, on recrute encore comme il y a 50 ans.» C’est-à-dire comme à l’époque des générations montantes sur le marché du travail. A cela s’ajoute un autre problème: «Le premier tri des candidatures est souvent effectué par des juniors dans le service du personnel. Ils n’ont pas l’expérience nécessaire pour évaluer correctement une rupture dans la carrière d’un candidat plus âgé.»
La recherche conservatrice de personnel peut devenir un désavantage concurrentiel: «De nombreuses entreprises en Suisse laissent passer la chance de mieux maîtriser le changement numérique que d’autres économies nationales», avertit Pascal Scheiwiller.
L’étude révèle encore autre chose: la discrimination liée à l’âge sur le marché du travail ne s’arrête pas malgré la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la sensibilisation croissante. C’est mauvais pour les employeurs comme pour les employés: les entreprises renoncent volontairement à un important potentiel de main-d’œuvre, préfèrent se plaindre de la pénurie et recruter à l’étranger. Et pour les employés, cela rend plus difficile une réorientation professionnelle qui pourrait être enrichissante pour tous.