En période de pénurie de candidats, la pratique du zéro gap (chercher un candidat issu du même secteur et de la même fonction) a tendance à se renforcer. Nos études ont toujours reflété la même chose: les entreprises prônent la flexibilité et l’agilité, et pourtant elles continuent à chercher DES profils avec une expérience confirmée de leur secteur d’activité. En période de transformations majeures, cette habitude freine l’innovation et leur capacité à s’adapter.
L’illusion de l’expertise: recruter des talents qui ont déjà de l’expérience dans votre activité peut rassurer car ils seront opérationnels plus rapidement. En réalité, cela crée une illusion. Avec l’arrivée de l’IA, les barrières à l’entrée sur les marchés vont davantage se réduire et laisser plus de place aux start-ups, qui innovent rapidement et défient les acteurs établis. Les entreprises doivent se réinventer pour rester compétitives et ne pas être dépassées par des concurrents plus agiles et adaptatifs. Souvent incapables de se réinventer, elles pensent innover alors qu’elles ne font en réalité que de l’amélioration continue. C’est bien l’absence de connaissances préalables en hôtellerie qui a été un atout pour les fondateurs d’Airbnb. Ils ont pu aborder le secteur avec une approche fraîche et innovante, sans les contraintes traditionnelles de l’industrie hôtelière. Idem pour Netflix, Amazon, Tesla, et à l’échelle de la Suisse, Debiopharm, L.E.S.S., et encore Flyability, Freitag, Sophia Genetics, autant d’exemples d’entreprises qui ont su s’inventer ou se réinventer.
L’esprit de clone: les sociétés qui recrutent selon le modèle zéro gap ont tendance à croire qu’un bon recrutement est un clonage parfait de l’équipe actuelle, ou une belle acquisition d’un talent volé à la concurrence. En réalité, elles recrutent simplement des moutons dociles, qui pensent et agissent de la même manière. C’est à se demander si elles cherchent de vrais talents ou des marionnettes programmées pour répéter un même scénario ennuyeux.
La diversité norme sociale: la diversité dans les recrutements semble se limiter à la diversité de genre, d’orientation sexuelle, d’origine ou de culture. Certes ces critères de diversité sont bien plus visibles et faciles à mesurer que la diversité des profils, et permettent aux entreprises de démontrer leurs efforts pour se conformer aux exigences légales et aux normes sociales. Elles négligent cependant la diversité en termes de parcours professionnels et d’expériences antérieures dans des industries différentes.
Recruter des profils venant d’autres horizons nécessite de connaître les métiers dans les autres secteurs industriels. Si l’on prend l’exemple de la Supply Chain: le secteur des biens de grande consommation a été avant-gardiste pour se rapprocher de ses clients (gestion des stocks en temps réel, collecte en magasin, livraison le jour même, achats en ligne avec retrait en magasin, personnalisation des offres…). Idem pour le textile et la mode, ou encore le secteur de l’alimentaire qui a fait une transformation essentielle en matière de traçabilité pour regagner la confiance des consommateurs. Ces expériences seraient très utiles par exemple au secteur pharmaceutique, où la transformation est encore en cours et doit continuer à améliorer sa distribution, la traçabilité des médicaments, la personnalisation des traitements pour se rapprocher de ses consommateurs. Le manque de compréhension des apports des candidats issus d’autres industries favorise les recrutements genrés et consanguins qui se font au détriment de la véritable diversité des compétences, des idées et des expériences.
Le conformisme et le culte des dinosaures: lorsque tous les employés dans une équipe ou dans une entreprise sont issus du même segment d’activité, leurs habitudes, leurs modes de pensée, les processus établis peuvent être difficiles à remettre en question. On observe dans les entreprises des équipes entières qui s’accrochent à des valeurs communes du passé, qui sont habituées à faire les choses d’une certaine façon et qui deviennent réticentes à remettre leurs méthodes de travail en question. Préserver sa zone de confort et protéger son périmètre prime sur la prise de risque, l’esprit critique, l’apprentissage, le courage, l’esprit d’initiative ou encore la créativité, compétences clés pour garantir le futur d’une entreprise. Finalement, les entreprises prônent l’expertise et l’expérience, mais en réalité, elles continuent majoritairement à recruter de façon conservatrice. En ne cherchant que des candidats familiers à leur secteur, elles préfèrent l’immobilisme à l’audace, se complaisent dans leurs habitudes, prennent peu de risques, et se demandent pourquoi elles peinent à se réinventer.