Selon Elon Musk, les progrès en matière d’intelligence artificielle et de robotique vont rendre le boulot facultatif. Sérieusement?
Ça ressemble à une provocation supplémentaire. Selon Elon Musk, nos emplois vont devenir «un peu comme un passe-temps, un loisir, un hobby». Tout cela grâce à l’intelligence artificielle, l’IA, qui devrait frapper l’humanité «comme un astéroïde». Par surprise et très violemment.
Pour le PDG de nombreuses entreprises, lui-même obsédé par le travail et capable de dormir au bureau quand c’est nécessaire, la révolution devrait être une bonne nouvelle.
Le big boss de Tesla, SpaceX, Starlink, X (ex-Twitter), The Boring Company, Neuralink et X.AI (une société dédiée à l’intelligence artificielle) a développé cette vision futuriste lors de la récente conférence Viva Tech à Paris, en vidéoconférence depuis les États-Unis.
Revenu universel
Dans le scénario «indolore» imaginé par Elon Musk, ce déferlement de robots et d’intelligence artificielle ne jettera pas l’humanité dans la misère. Au contraire. «Il y aura un revenu universel élevé, plutôt qu’un revenu de base universel (ndlr: celui refusé par les Suisses lors de la votation de 2016), et il n’y aura pas de pénurie de biens et de services.»
Pour faire simple, les robots et les intelligences artificielles vont remplacer les esclaves qui travaillaient pour les Romains dans l’Antiquité. Et nous, les humains, nous irons aux bains et aux Jeux.
«À long terme, tout travail deviendra facultatif. Si vous voulez conserver un job qui va ressembler un peu à un passe-temps, vous pourrez le faire. Mais si vous ne le voulez pas, l’IA et les robots fourniront tous les biens et services nécessaires.»
Selon le scénario le plus probable, dont les chances de se réaliser sont de 80%, estime le milliardaire, «la question ne sera pas d’accéder à autant de biens et de services que vous le souhaitez. Chacun le pourra. La question sera celle du sens de la vie. Quel sera-t-il, si un ordinateur et des robots peuvent tout faire à votre place?»
Un avant-goût du futur
Quand on sait qu’Elon Musk travaille à des projets tels que le Cybercab de Tesla, un robot qui devrait faire le taxi en ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans conducteur humain au volant, ou le robot
Optimus, un humanoïde capable de réaliser de nombreux jobs physiques à la place des humains, on comprend mieux la vision développée par le milliardaire.
Plus qu’un scénario futuriste, c’est un business plan. Car le jour où Elon Musk a fait cette déclaration parisienne, il a encore annoncé une levée massive de 6 milliards de dollars pour accélérer le développement de son moteur d’intelligence artificielle.
À Paris, justement, Marc Fiorentino «partage la prédiction d’Elon Musk, pour des raisons démographiques et sociétales». Selon ce spécialiste des marchés financiers et auteur de la newsletter Meilleurtaux Placement, «une révolution démographique est en marche. Elle se traduit par le vieillissement de la population et par l’effondrement de la natalité et du taux de fécondité.» L’avènement des machines apporte une réponse à cette diminution de la force de travail.
L’autre élément à prendre en compte, c’est que «nous allons basculer d’une société du travail à une société de loisirs», ce qui aura des «conséquences massives. Il va falloir tout réinventer: l’économie, le capitalisme, les revenus, la consommation, et enfin réinventer le travail, ou ce qu’il en restera», dit Marc Fiorentino.
Un scénario plausible?
En Suisse, la conseillère nationale vaudoise Isabelle Chappuis (Le Centre) trouve également que le scénario imaginé par Elon Musk «fait du sens, techniquement». Pour cette universitaire, spécialisée dans l’anticipation du futur, «le travail peut devenir un hobby si nous arrivons à créer des technologies qui améliorent les humains et qui pourront les remplacer dans les métiers pénibles, sales et dangereux. Il faudra encore que nous arrivions à former les humains à l’utilisation de l’IA, pour permettre une meilleure collaboration entre l’homme et la machine.»
Ruée vers l’or
Actuellement, «tout est possible, dit Isabelle Chappuis, mais les bénéfices et les progrès qui découlent de ces technologies disruptives ne sont pas distribués équitablement. Et c’est la mauvaise distribution de ces progrès qui va poser problème, comme l’incapacité pour beaucoup de personnes de faire face à ce nouveau monde.»
Pour la futuriste suisse, il s’agit toutefois «d’une vision à long terme. Pour l’instant, nous sommes dans le Far West de l’intelligence artificielle, un monde sans foi ni loi, et c’est une véritable ruée vers l’or.»
U Anne Donou est directrice pour la Suisse romande de Von Rundstedt, à Genève, un cabinet spécialisé dans l’outplacement (aide au reclassement d’un salarié licencié). Elle est basée à Genève.
Avez-vous déjà entendu parler d’entreprises en Suisse qui réduisent leur personnel
à cause de l’IA?
Ce n’est pas nommé comme ça. Pour l’instant, ce sont des postes qui sont automatisés ici ou là. Il n’y a pas encore de grands plans de licenciements à cause de l’intelligence artificielle, mais c’est une question de temps.
Parle-t-on de cette sortie du travail dans des entreprises comme la vôtre, qui est spécialisée dans le replacement des employés licenciés?
Oui, même si c’est encore de l’anticipation. Nous nous attendons à ce que, à un moment donné, il y ait trop de gens dans les entreprises, et nous cherchons des solutions comme la mobilité interne, la requalification, l’augmentation des compétences chez les travailleurs… Mais si on regarde plus loin, comme Elon Musk, on voit que le problème est plus large.
La situation va-t-elle s’aggraver?
Ces besoins de reclasser les employés vont se multiplier. On voit que l’IA reprend déjà de nombreuses tâches. À moyen terme, il y aura trop de gens dans les entreprises et la question va se poser de savoir ce que l’on en fait. Tout le modèle est à réinventer.
Justement, qu’est-ce qu’on va faire de ces gens?
Je pense à des transferts vers des domaines où il y aura des besoins importants, comme l’environnement et les services à la personne, les métiers plus manuels comme cuisiniers, bouchers, maçons, ou encore les métiers qui nécessitent des compétences sociales telles que la collaboration ou l’empathie. À défaut d’être productifs pour leur entreprise, les gens pourraient devenir productifs pour la planète et les êtres humains.
Les changements qui s’annoncent, c’est du jamais-vu?
Ça me fait penser à la révolution industrielle. On s’est rendu compte à ce moment qu’il y avait trop de travailleurs dans les champs, et on a envoyé les gens à l’école, pour qu’ils puissent devenir productifs pour les entreprises. Les changements qui s’annoncent sont du même ordre. À chaque révolution, les gens ont d’abord eu peur de perdre leurs emplois et finalement on a vu que le monde s’est toujours réinventé. Rien ne se perd, tout se transforme.