En Australie, une nouvelle loi limite l’obligation d’être joignable sur son temps libre. La Suisse n’en a pas, malgré plusieurs tentatives à Berne.
Répondre ou ne pas répondre? Voilà une question que se sont déjà posée de nombreux employés lors d’un appel d’un supérieur en dehors des heures de travail. Pour couper court aux doutes, certains pays ont décidé de légiférer sur la question, en introduisant le droit à la déconnexion.
C’est notamment le cas de l’Australie, où un texte vient tout juste d’entrer en vigueur. Les employés ont maintenant le droit de refuser de surveiller, lire ou répondre aux demandes de leur supérieur en dehors de leurs heures de travail, sauf si le délai est considéré comme «raisonnable». En France et en Belgique aussi, de telles dispositions existent depuis plusieurs années. Mais ce n’est pas le cas en Suisse.
Certains politiciens se sont pourtant déjà emparés de la question par le passé. C’est le cas de Mathias Reynard, ancien conseiller national (PS/VS). En septembre 2019, il avait déposé une motion qui demandait au Conseil fédéral de modifier le Code des obligations, «afin d’obliger l’employeur à mettre en place les dispositifs utiles pour restreindre l’utilisation des outils numériques par le travailleur en dehors de ses heures de travail hebdomadaires». Celle-ci avait finalement été refusée par ses collègues.
Travailler durant le temps libre
Plus récemment, en mars dernier, c’est la conseillère nationale Greta Gysin (Les Verts/TI) qui a déposé une motion pour «garantir le droit à l’indisponibilité pendant le temps libre». Le Conseil fédéral a proposé de rejeter le texte de l’élue, le jugeant superflu.
«Les problématiques de santé mentale sont en train d’exploser dans les entreprises. Donc il ne faut pas sous-estimer les dangers de l’hyperconnectivité. Celle-ci est presque devenue un outil pour mesurer le dévouement d’un employé à son entreprise.» Anne Donou, directrice pour la Suisse romande du réseau de recrutement von Rundstedt.
Pourtant, l’élue tessinoise estime que des changements sont nécessaires. «En Suisse, près d’un tiers des hommes et des femmes qui travaillent (ndlr: selon une étude de Travail.Suisse) indiquent qu’ils doivent régulièrement travailler pendant leur temps libre. Si cela peut se comprendre dans des cas exceptionnels, il faut éviter que cela devienne la règle. Il y va de la protection de la santé des travailleurs.»
Et un texte législatif serait la bonne solution, selon elle: «Les données recueillies par l’étude de Travail. Suisse montrent que les employés sont stressés et qu’ils travaillent en dehors de leurs heures de bureau. Cela indique clairement qu’il est nécessaire d’agir pour améliorer la situation. Ma motion serait un pas important dans cette direction.»
Pour elle, ce sont notamment les changements de nos habitudes de travail qui devraient être mieux encadrées: «Le développement du télétravail et de la numérisation rend de plus en plus difficile la séparation entre le travail et le temps libre. C’est pourquoi il est important de prévoir des mesures pour éviter le danger de la «disponibilité permanente».
Difficile à mettre en place
Pour Anne Donou, directrice pour la Suisse romande du réseau de recrutement von Rundstedt, ce «droit à la déconnexion» est un symptôme d’une problématique plus importante: «Il s’agit là de savoir comment fixer des limites entre la vie professionnelle et la vie privée.»
Elle estime donc que légiférer sur cette thématique n’est pas souhaitable: «Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. C’est très difficile à mettre en place, les modes de travail ont changé, tout comme les attentes des employés. On observe de plus en plus un besoin de flexibilité de leur part.»
La meilleure solution, selon la directrice, serait de «travailler sur les politiques internes dans les entreprises». «Il faut édicter des principes de bonne conduite, former l’ensemble des personnes – les employés tout comme les pa trons – à la gestion du temps ainsi qu’à la responsabilisation. Des règles applicables dans des multinationales ne le sont pas dans des PME, donc il serait contreproductif de les forcer à mettre les mêmes règles en place.» Elle souligne également que, selon elle, c’est la flexibilité des firmes suisses qui font leur compétitivité.
Anne Donou ajoute tout de même l’importance de la prise en compte des problématiques de santé mentale: «Elles sont en train d’exploser dans les entreprises. Donc il ne faut pas sous-estimer les dangers de l’hyperconnectivité. Les managers ont tendance à trouver normal le fait d’être joignable à tout moment et cela crée des attentes implicites. L’hyperconnectivité est presque devenue un outil pour mesurer le dévouement d’un employé à son entreprise.»