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Heidi.news :  » Pourquoi parle-t-on de pénurie de personnel alors que certains peinent à trouver du travail? « 

Les entreprises manquent d’employés et la Suisse traverse une forte pénurie de personnel. C’est un discours que l’on entend tous les jours chez les patrons, notamment. Qui soulignent que le chômage est à 2,0%, un taux historiquement bas. Certains travailleurs s’agacent pourtant: dans leur secteur, très concurrentiel, il leur est très difficile de trouver un emploi. Et le taux de chômage ne tient pas compte des 2’342 personnes en Suisse qui ont épuisé leurs droits aux prestations de l’assurance-chômage dans le courant du mois d’avril 2022.


Pourquoi on en parle. Le constat de celles et ceux qui peinent à trouver un emploi est bien réel. Et pourtant, celui des employeurs et des agences de recrutement qui cherchent désespérément certains profils l’est aussi. Explications.


Définition. Le Groupe Adecco Suisse définit ainsi la pénurie, comme le détaille Jessica Jocham, responsable de la communication:

«Il y a pénurie de main-d’œuvre lorsque le nombre de postes vacants dans une profession est supérieur au nombre de demandeurs d’emploi. Inversement, on parle d’offre excédentaire de main-d’œuvre lorsque le nombre de demandeurs d’emploi dans une profession est supérieur au nombre de postes vacants.»


Elle poursuit:
«Dans les classements établis, l’indice de la pénurie de main-d’œuvre en Suisse recense les professions en fonction de l’importance de la pénurie ou de la surabondance de main-d’œuvre.»


Les professions concernées. Le dernier Indice de la pénurie de main-d’œuvre en Suisse 2021 d’Adecco montre un indice qui a augmenté de 27% par rapport au semestre d’été 2020 en raison de l’augmentation des offres d’emploi et de la chute du taux de chômage. Le manque est particulièrement important pour ces professions:
1. Ingénieurs
2. Informatique
3. Technique
4. Médecine humaine et pharmacie
5. Secteur fiduciaire


C’est peu ou prou le même constat que fait Anne Donou, conseillère en ressources humaines chez von Rundstedt, cabinet spécialisé dans les ressources humaines et les transitions de carrière:
«On observe une pénurie dans tous les métiers de l’informatique, aussi bien pour la sécurité que le cloud, tous les métiers liés au big data, au encore les statisticiens.»


Pour rappel, selon une étude réalisée par l’association ICT-Formation professionnelle Suisse, le pays va manquer de 36’000 informaticiens d’ici 2028. Anne Donou note aussi que les métiers de la santé sont historiquement en pénurie, «accentuée avec la pandémie. Beaucoup ne veulent pas rester ou pas rejoindre la profession». Elle mentionne également l’hôtellerie-restauration et les établissements contraints de fermer, faute de personnel, et le secteur pharmaceutique qui doit souvent chercher les talents hors de son industrie. Et enfin, dans les banques, les profils formés à la compliance, «on se les arrache», observe la conseillère.


«Ne pas réussir à embaucher est vraiment une inquiétude pour les entreprises, atteste pour sa part Stéphanie Ruegsegger, directrice de la politique générale de la Fédération des entreprises romandes à Genève. Si elles ne trouvent pas, cela peut mettre en péril la santé de l’entreprise et d’autres postes. A Genève par exemple, il y a presque 240’000 personnes actives et 400’000 emplois.» Elle rappelle qu’il peut toutefois y avoir une inadéquation de profils et mentionne plusieurs projets, dont la «task force employabilité» lancée à Genève en 2020 pour une meilleure intégration de la main-d’œuvre locale au marché du travail.


Du côté des syndicats, Daniel Lampart, premier secrétaire et économiste en chef à l’Union syndicale suisse, juge ce cri d’alarme des milieux patronaux «un peu exagéré»:


«Certains secteurs, comme la restauration, sont surpris de ne pas trouver de personnel ou de ne pas avoir à disposition des travailleurs qui viennent habituellement de l’étranger. Mais les chômeurs arrivées en fin de droit restent nombreux en Suisse et certains employés à temps partiel ou à durée déterminée cherchent à obtenir d’autres contrats.


Les milieux patronaux ont pris l’habitude d’avoir des candidats qui répondent à toutes leurs exigences. Il faut qu’ils s’adaptent à la réalité, qu’ils forment leurs collaborateurs et donnent leur chance à ceux qui viennent d’autres secteurs et qui sont au chômage.»


Une polarisation du marché du travail. Comment expliquer que tous les travailleurs ne vivent pas la pénurie que dénoncent beaucoup d’employeurs? L’analyse d’Anne Donou:


«On observe une polarisation du marché. Il y a beaucoup de postes pour lesquels il y a une pénurie de candidats, mais il y a aussi des métiers dans lesquels il y a une pénurie de postes. Avec la transformation des entreprises, les employeurs ont besoin de compétences qui sont encore peu présentes sur le marché, mais ils se séparent aussi de personnes dont les compétences ne leur sont plus nécessaires. C‘est en effet très difficile pour ces profils.»


Manque de personnel ou de compétences? Dans cette même idée, Sophie Huber Kodbaye, directrice du Centre pour la formation continue et à distance de l’Université de Genève, tient à souligner la distinction établie par le Bureau international du travail:


«Il faut faire une différence entre “la pénurie de personnel”, pour désigner le manque quantitatif de main d’œuvre, comme ce peut être le cas dans la restauration, et “le déficit de compétences” pour désigner le manque qualitatif de compétences de la main d’œuvre disponible. Ce dernier est souvent lié à la transition numérique qui peut rendre les compétences de certains travailleurs partiellement voir totalement obsolètes.»


Certains secteurs demeurent aussi beaucoup plus concurrentiels que d’autres, ajoute aussi Anne Donou:


«Un jeune qui finit ses études dans une haute école en informatique va avoir beaucoup plus d’offres qu’un autre qui termine son cursus dans la même école mais en architecture par exemple, et qui sera pourtant déjà passé par un concours d’entrée. Certains font donc l’expérience d’un marché très favorable, d’autres beaucoup moins.»


Le cas des chômeurs en fin de droit. Parmi ceux qui ne semblent pas pouvoir tirer bénéfice de ces pénuries, les chômeurs arrivés en fin de droit, 2753 en mars et 2342 avril 2022, selon les derniers chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie. Des statistiques qui ne sont pas très différentes de celles de l’avant pandémie, en 2019. (2209 en mars et 3125 avril). Michael Wüthrich, porte-parole du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche du Secrétariat d’Etat à l’économie, nuance toutefois ce constat:


«Depuis 2016, le nombre de chômeurs en fin de droits est en baisse en moyenne annuelle. En 2020 et 2021, leur nombre a été exceptionnellement bas, car les prolongations d’indemnités décidées dans le cadre de la crise Covid ont eu pour conséquence de n’avoir quasiment aucune arrivée en fin de droits pendant quelques mois. Pour 2022, il faut donc s’attendre à un léger effet de rattrapage.»


Il précise:


«Jusqu’à présent, les arrivées en fin de droits des mois de janvier à avril 2022 sont inférieures à la moyenne des années précédant la crise.»


Au niveau des profils, les 55 à 64 ans ont tendance à avoir plus de mal à retrouver un emploi une fois au chômage, constate Michael Wüthrich. A noter aussi que les personnes en fin de droits ne disposent souvent pas de formation post-obligatoire. Il rassure toutefois:


«Même après l’arrivée en fin de droits, une intégration dans le marché du travail peut avoir lieu. Par exemple, sur les 2342 personnes arrivées en fin de droits en avril, 21% avaient trouvé un nouvel emploi à la fin juin. En outre, les ORP proposent des conseils et des placements après l’arrivée en fin de droits.»

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